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Corse et Sardaigne : Les langues non plus ne s’arrêtent pas aux frontières de Jean Chiorboli

Dans certains de mes ouvrages, notamment “La légende des noms de famille” (http://www.albiana.fr/Prova/La-legende-des-noms-de-famille-br/-Appellations-dorigine-corse.html) j’avais eu l’occasion de citer les travaux du linguiste sarde Mauro Maxia, auteur notamment d’un intéressant “Dizionario  dei cognomi sardo-corsi”.  Voilà que je reçois de M.Maxia une étude sur la “Fonetica storica del Gallurese e delle altre varietà sardocorse”, qui vient s’ajouter aux nombreuses publications qui étudient les rapports –historiques, linguistiques, culturels- entre Sardaigne et Corse, et dont on trouvera toutes les références sur Internet (voir notamment http://www.librisardi.it/autore.php?id_autore=898).

Il s’agit d’un livre très “savant”, dédié “A i cugini côrsi”, dont je ne vais pas faire ici un compte-rendu exhaustif. D’abord parce que Corse Net Infos n’est peut-être pas le support idéal pour disserter sur l’histoire des deux îles sœurs. Ensuite et surtout parce que la Sardaigne ne constitue pas vraiment mon domaine de compétence, d’autant moins quand l’étude se focalise sur la phonétique et la (micro)dialectologie.

“Li Saldi” et “li Còssi”

Le domaine “sardocorso” qu’étudie M.Maxia est constitué par deux aires principales (Nord-Est et Nord-Ouest de la Sardaigne) où l’on parle sassarese et gallurese. La corse est définie comme “l’isola madre” par rapport à ces variétés “corsophones”. A propos des rapports complexes entre les diverses régions, l’auteur observe:

“Vi è chi, nel tentativo di marcare la distanza del gallurese dal sardo, osserva che i galluresi chiamano gli altri sardi li Saldi ‘i Sardi’. Si tratta di un approccio riduttivo perché tralascia che, in modo analogo e da parecchi secoli, i galluresi chiamano li Còssi ‘i Corsi’ gli abitanti della Corsica”

Pour les raisons indiquées nous ne discuterons pas de la question de savoir si le domaine en question doit-être défini comme “corso-sarde” ou “sardo-corse”, ou si la syntaxe des variétés correspondantes est “essentiellement italienne”: l’auteur considère qu’il s’agit d’un lieu commun qui ne correspond pas toujours à la réalité.

Concernant la situation sociolinguistique, l’auteur indique aussi que des éléments “propriamente sardi” se sont substitués aux formes originelles au point parfois de compromettre l’intercompréhension entre les corsophones sardes et ceux de “l’île mère”. Maxia examine donc concordances et divergences entre les diverses variétés. L’auteur indique par exemple que alcùtina en gallurese a comme correspondant ancudina en corse (notamment). En l’occurrence il aurait été utile de signaler que d’autres variantes comme alcutina e alcudina sont aussi présentes en corse, dans la langue vivante et la toponymie (voir notre ouvrage sur “Langue corse et noms de lieux”, Albiana 2008).

Nous faisons confiance à M.Maxia quand il dresse minutieusement les cartes des “communes et territoires corsophones”, des zones corsophones enclavées dans des communes sardophones, ou des zones sardophones insérées dans des communes corsophones. Dans le cadre corse cela reviendrait à distinguer dans une commune comme Bonifacio, par exemple, les quartiers corsophones de ceux où perdure la langue d’origine ligure.

Que vivent les dialectes. Et la langue ?

Les “isoglosses” ont parfois un aspect magique (Maxia correspondrait en othographe corsa à masgìa, et signifierait en sarde…”magie”!). Cependant nous avouons ici notre peu d’enthousiasme pour la recherche frénétique des lignes de démarcation (les “frontières” n’arrêtent ni les hommes, ni les langues ni les nuages radioactifs…). Les diverses tentatives de découpages “géolinguistiques” de la Corse ont abouti à des résultats différents quant au nombre et à la délimitation des divers dialectes. En raison des méthodes employées, de la compétence des linguistes et enquêteurs, les données publiées sont souvent sujettes à caution, hier comme aujourd’hui. Chaque nouvelle publication critique les précédentes, sans pour autant échapper elle-même aux contestations. Par exemple le “Nouvel Atlas Linguistique” corse (http://umrlisa.univ-corse.fr/spip.php?article42) présente des données qui peuvent surprendre.

Dans l’atlas en question la “corsisation” des noms de lieux n’est pas toujours cohérente. Ainsi aurait attendu non pas (San) Giulianu mais Ghjulianu; cf. (San) Ghjuvanni). Dans le Sud, à Palneca et Santa-Maria-Siché on aurait un féminin (a fiori) pour “la fleur”. A Sollacaro la consonne initiale dans a voci “la voix” serait [v] (ce qui donnerait forcément a foci en transcription orthographique). En Corse du Nord (à Santo-Pietro-di-Tenda, Patrimonio, Bastia) on aurait des “enclaves” où les consonnes P ou T seraient maintenues (comme dans le Sud) et non sonorisées, comme le montrent les cartes des autres communes de la région (voir ici un extrait de la carte u pettu “la poitrine”).

Dès lors qu’on reconnaît l’existence d’une “langue” corse, il ne serait pas non plus inutile de mettre également en lumière les convergences (pas seulement dans la prononciation) entre les divers “dialectes” (par exemple le fait que la variante faible de /f/ et /v/ est réalisée de la même manière dans TOUTE la Corse). Mais il est sans doute plus facile se focaliser sur les différences, par ailleurs assez nombreuses pour qu’on n’ait pas besoin d’en inventer.

Recoller les morceaux du puzzle

La dialectologie a toute sa place comme objet de recherche universitaire, à condition de refléter fidèlement la réalité. Son utilité est plus contestable dans le cadre des cours de langue corse, surtout quand la langue de travail est systématiquement le français. S’il s’agit de produire des corsophones (c’est en tous cas l’objectif récemment affirmé par le pouvoir politique territorial: voir http://www.corsenetinfos.fr/2012/08/21/langue-corse-politique/), l’école doit mettre au premier plan la pratique EN langue corse plutôt que les discussions AUTOUR de la langue corse. L’énumération de la trentaine de noms qui désignent la chauve-souris dans les diverses variétés ne semble pas la meilleure manière d’améliorer la compétence des collégiens. Le problème ne tient pas pas seulement à la formation des enseignants de l’école primaire et secondaire, mais aussi à la qualité des descriptions du corse, sur lesquelles ces derniers devraient pouvoir s’appuyer dans leur pratique quotidienne. Va pour le découpage, à condition qu’on recolle les morceaux de temps en temps.

Encore une fois se pose ici le problème majeur de la linguistique descriptive, à savoir la disponibilité –et la fiabilité- des données, parfois reprises d’une publication à l’autre sans vérification, donnant une image faussée de la réalité corse, ce qui a souvent abusé notamment les chercheurs étrangers.

Ce n’est sans doute pas le cas de Mauro Maxia, qui ne néglige ni la recherche de terrain ni l’enseignement de la langue. Il a assuré notamment des cours d’orthographe sarde, et des stages en “Laboratorio ed esercitazioni di Lingua Sarda” (http://www.lefweb.uniss.it/index.php?sez=2&arg=1&txt=1&son=1&id_doc=188). Quant à la recherche linguistique il étudie depuis de nombreuses années ce que le Professeur M.Pittau définit (dans sa présentation de l’ouvrage que nous signalons ici) comme le “problème représenté par les variétés d’origine corse parlées dans le Nord de la Sardaigne”.

La “Fonetica storica” de M.Maxia doit être considérée comme une contribution importante dans la “reconstruction de l’histoire et de l’identité de la Gallura”. La citation reprend le préambule rédigé par les autorités de “l’Amministrazione Provinciale di Olbia Tempio” à qui j’emprunterai également une réflexion qui me semble bien résumer l’esprit de l’ouvrage. Les langues ne sont pas des systèmes fermés, la réalité montre au contraire que de nombreuses expressions “passent de manière naturelle d’une langue à l’autre”.
                                                                                                          

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